Deborah Lesne
Soins Holistiques

Massage Ayurvédique

Deborah Lesne
Soins Holistiques

Massage Ayurvédique

La parfaite imperfection

Battambang, Cambodge – 25 janvier.

Deux semaines sans écrire un mot. Pas une ligne. Parfois, le silence s’impose, même pour moi qui d’ordinaire trouve toujours un refuge dans les mots. Mais il faut dire que ces dernières semaines ont été pleines de… disons, imperfections.

La fin de mon séjour à Bali, je l’ai passée sous la couette, terrassée par une crève monumentale. Même loin de vous, j’ai trouvé le moyen d’être solidaire avec vos microbes, hahaha. Le genre de solidarité dont je me serais bien passée, honnêtement.

Ces jours-là, tout s’est un peu figé. Moi, le temps, les paysages. Je regardais la pluie tropicale s’écraser sur la fenêtre pendant que je vidais des litres de thé gingembre, ensevelie sous une montagne de mouchoirs qui, à la fin, rivalisait presque avec la taille du Mont Agung.

C’était Bali qui, à sa manière bien à elle, me disait au revoir. Peut-être qu’elle m’invitait à regarder vers d’autres horizons et voguer ailleurs. Le timing, lui, était presque trop parfait pour être une coïncidence. Après le départ de Roméo, puis celui d’Élodie, et enfin Alex. Le lendemain, mon corps a simplement dit stop. La maladie m’a rattrapée comme une vague qui vous renverse après avoir trop longtemps nagé à contre-courant. C’était un relâchement, un trop-plein d’émotions qui avait besoin de sortir. Bali m’a retenue juste assez pour que je comprenne le message : stop, repose-toi. Accepte de te poser et de laisser les choses être.

C’est comme ça que je l’ai compris, en tout cas. Bien sûr, dans ma tête, je me voyais déjà ailleurs. J’imaginais des bateaux, des traversées entre les îles, voguer de Lombok à Sumba en passant par Komodo. Une aventure en pleine période de mousson… Peut-être qu’il valait mieux que je m’arrête avant de me lancer dans cette idée un peu folle. Bali avait raison, à sa manière. Parfois, il faut s’écouter – ou écouter ce que le voyage essaie de nous dire.

Et puis, il y a eu le passage à 2025. Le Nouvel An en solo, physiquement en tout cas. J’ai reçu une avalanche de messages, de vidéos et d’appels. Chaque photo de vous, chaque éclat de rire derrière un écran m’a remplie de joie. Et pourtant, je n’ai pas pu m’empêcher de verser ma petite larme. C’est aussi dans ces moments-là, charniers, où la présence de mes proches me manque, cet ancrage, invisible, qu’ils représentent.

Mes proches, c’est ma boussole, même à des milliers de kilomètres. Ce fil ténu mais solide, comme des racines qui me rattachent au centre de la terre. Ce n’est pas simplement un lieu, une maison ou un point sur la carte. Non, c’est ce tissu vivant d’histoires partagées, de rires, de gestes anodins qui se transforment en repères, en piliers. Un regard échangé autour d’un repas, une conversation qui dure jusqu’à tard dans la nuit, même un silence, parfois. Ce sont ces choses simples qui me rappellent qui je suis, où je vais, même quand je suis perdue dans l’immensité d’un autre pays.

Et même si je me suis habituée à la distance, elle ne gomme jamais complètement ce besoin d’eux. Ce besoin d’avoir quelque part, loin ou près, des visages familiers qui m’aiment sans condition, qui me voient telle que je suis, même à travers un écran. C’est dans ces instants où je me sens flottante, presque déconnectée du monde qui m’entoure, que leur présence invisible me ramène doucement à moi-même. Comme un fil tendu à travers les continents, qui vibre à chaque message, à chaque éclat de rire, pour me dire : Tu n’es pas seule. Tu n’as jamais été seule.

Ce n’est pas le premier Nouvel An que je passe seule. Au début, passer le réveillon seule était presque une protestation. Une sorte de défi à moi-même : « Je ne vais pas faire comme tout le monde. Pourquoi attendre un jour précis pour être entourée de ceux qu’on aime ? Pourquoi céder à cette pression collective ? » C’était mon cri d’indépendance, un refus d’entrer dans un moule que je trouvais trop étroit. Mais avec le temps, ça a changé. La solitude n’est plus une déclaration, ni un combat. C’est devenu une simple circonstance. Parfois elle s’impose à moi, parfois je la choisis. Si une opportunité se présente, j’y vais. Et sinon, je reste avec moi-même. Et c’est bien aussi. Apprendre à être bien avec soi, ce n’est pas toujours simple, mais c’est précieux.

Ce soir-là, à minuit, je n’ai pas ouvert de champagne. Juste une tasse de tisane chaude, un film devant moi, et le bruit de la pluie au loin. Ce n’était pas parfait, loin de là. Mais à bien y réfléchir, c’était suffisant, c’était même beau.

Il est temps de bouger.

Le 2 janvier, je prends la décision de partir pour Lombok en bateau. Je m’organise rapidement : réservation d’un taxi, de ma première nuit d’hôtel, et départ prévu pour le 4 au matin. La pluie tombe à torrents, sans relâche. Je consulte les prévisions pour Lombok et les îles alentours : pluie, encore et encore. C’est normal, me diras-tu, c’est la saison des pluies. Mais le 3 au soir, tout bascule. Je jette l’éponge. J’en ai marre. J’ai besoin de soleil, d’une plage, d’eau cristalline. Moi, un masque et un tuba, et les poissons, et c’est tout ce que je veux.

Alors je pense au Vietnam. Ça pourrait le faire, sauf qu’il me faut un visa. Je fais ma demande, pensant que, comme d’habitude, la réponse viendra en quelques heures. Mais cette fois, rien. Les heures passent, toujours rien. Et moi, je veux partir, je sens que c’est le moment. En fouillant sur les blogs, je découvre que le visa pour le Vietnam peut prendre entre 3 et 5 jours ouvrés… parfois jusqu’à 15 jours. Cette incertitude ne me convenait pas, ni l’attente qu’elle engendrait.

Alors je change de cap. Le Cambodge s’impose à moi. Je trouve une petite île exactement comme je l’imaginais : calme, tranquille, un endroit parfait pour me poser, reprendre des forces et souffler un peu.

Mais avant de passer à ce nouveau pays, j’aimerais revenir un instant sur Bali. J’ai beaucoup entendu parler de l’île ces derniers mois : des gens qui disaient qu’il ne fallait plus y aller, que Bali avait perdu son âme à cause du tourisme de masse, de la pollution, du trafic… Et c’est vrai, dans une certaine mesure. Mais, de mon point de vue, il serait dommage de se fier uniquement à ce que les autres en disent. Peut-être que ceux qui expriment cette déception ont simplement coché toutes les cases des choses à voir à Bali, sans vraiment chercher à s’y perdre, sans chercher autre chose.

Accepter d’aller à la rencontre d’un pays, d’un peuple, c’est aussi accepter de sortir des sentiers battus. Loin de la foule, loin des attractions touristiques, parfois même loin de son confort habituel. Et c’est là que se cache la magie, à mon sens. Loin aussi de la pression monétaire que le tourisme engendre, loin de cette frénésie de consommation qui transforme parfois un lieu en produit. Bali, comme n’importe quel endroit, mérite d’être explorée à sa manière, sans préjugés ni attentes préfabriquées. C’est dans cette démarche d’ouverture, de curiosité, qu’on peut encore saisir son âme, intacte malgré tout.

Nous sommes le 6 janvier, et je m’envole pour Phnom Penh. Nouveau pays, nouvelle capitale asiatique. Comme toujours, je n’ai pas de plan. Mon « plan », c’est précisément de ne pas en avoir, d’aller là où le vent me porte. La seule chose que je sais, c’est que j’ai envie de cette île, de repos, et bien sûr de visiter le site archéologique d’Angkor. Mais entre ici et là, je vous le dis tout de suite : il y aura des imprévus. Des changements de plan, et des situations à rire (ou à pleurer) – mais surtout à raconter !

J’ai passé quatre jours à Phnom Penh. Dès mon arrivée, je me suis débrouillée pour prendre une carte SIM à la sortie de l’aéroport. Pourquoi ? Parce que maintenant, j’ai appris : utiliser une application de transport, c’est le meilleur moyen d’éviter de payer le double, voire le triple, du prix d’une course de taxi ou de tuk-tuk. Je fais toujours ce petit calcul avant de négocier directement avec les locaux. Ça me permet de trouver un prix juste : un peu plus que ce que l’app propose – parce que je sais que ces plateformes leur prennent une grosse commission – mais pas au point de payer des prix farfelus sous prétexte que je suis une touriste. Une petite imperfection dans le système, qu’on contourne comme on peut. Tout le monde y gagne.

Le lendemain, j’ai eu mon premier choc. Au Cambodge, on roule à droite. À droite. Je ne m’y attendais pas, et je ne vous raconte pas les frayeurs au milieu d’un trafic chaotique. Entre les tuk-tuks, les motos, et les voitures qui surgissent de tous les côtés, j’ai eu quelques sueurs froides avant de comprendre ce qui clochait : ce n’était pas eux, c’était moi. Une fois que j’ai réalisé, ça m’a fait rire, mais sur le moment, c’était… intense.

Et comme si ça ne suffisait pas, voilà que la monnaie m’a carrément donné des noeuds au cerveau. Ici, ils utilisent deux devises : le riel cambodgien et le dollar américain. Ça semble simple sur le papier, mais dans la réalité, ça peut vite devenir un casse-tête. Tu paies 10 dollars pour quelque chose qui en coûte 3, et ils te rendent la monnaie une partie en dollars, l’autre en riels. Je vous laisse imaginer ma confusion. Après des mois de voyage à jongler entre différentes monnaies, langues et comportements, ce mélange a failli me faire imploser le cerveau.

Phnom Penh, en soi, n’a pas eu beaucoup d’intérêt pour moi. Pas de grands coups de cœur pour cette ville, mais parfois, ce genre de moments a aussi son utilité. J’ai pris le temps de flâner, de me perdre dans les ruelles et sur le marché local du coin, de m’arrêter pour observer les gens. J’ai laissé les journées s’écouler sans trop chercher à faire quoi que ce soit de « productif ». C’était un peu une pause avant de reprendre la route.

J’ai bien tenté un massage, mais je préfère oublier cette expérience… Après cinq minutes à peine, j’ai dû tout arrêter. Une vraie catastrophe. J’ai rarement été aussi choquée du peu d’intérêt qu’on pouvait porter à un corps. Zéro attention, zéro tact, zéro douceur. Ce n’était pas juste un mauvais massage, c’était un vrai manque de respect. Avant, dans ce genre de situation, je serais restée, par politesse, en me disant qu’on ne doit pas faire de vagues. Mais aujourd’hui, je n’ai plus de temps à perdre avec ce genre de « bonne conduite ». J’ai refusé de rester et, par conséquent, de payer 20 dollars pour une prestation médiocre. Certes, c’est bien moins cher qu’en France, mais c’est trois fois le tarif local. Et même si le prix avait été dérisoire, le problème, au fond, n’était pas là : ce moment m’a rappelé que je ne veux plus rien accepter qui me rend mal à l’aise, que ce soit ici ou ailleurs.

Ces jours-là, j’avais aussi une autre envie : faire une pause dans la cuisine asiatique. Ne vous méprenez pas, j’adore ça, mais après plusieurs mois à manger du riz et des nouilles, j’avais un besoin presque viscéral de manger autre chose. Et Phnom Penh s’est avérée parfaite pour ça. Les grandes villes ont ce petit avantage : une cuisine internationale.

Le dernier soir à Phnom Penh, je me suis retrouvée dans un bar où se déroulait une soirée salsa. J’adore la salsa et les danses latines. Une vraie passion. Je danse depuis que j’ai cinq ans. Après 13 ans de danse classique dans une académie, j’ai fait une pause. Et c’est la salsa qui m’a ramenée à l’une de mes plus grandes amours : la danse. Mes tout premiers pas, je les ai faits en Thaïlande, il y a 13 ans, quand j’y vivais. À mon retour à Paris, c’est sur les quais de Seine que j’ai découvert la salsa « à la latino ». J’ai appris sur le tas, sans jamais prendre un seul cours « officiel ». Ce sont des passionnés, des locaux, qui m’ont enseigné cette danse avec leur cœur et leur énergie.

Ce que j’aime avec la salsa, c’est qu’elle n’a jamais été, pour moi, une affaire de perfection. C’est une danse où l’on se laisse guider par l’instant, où l’on ressens la musique et où l’on s’adapte à l’énergie de son partenaire. Elle ne demande pas de connaître tous les noms des pas ni de maîtriser chaque enchaînement avec précision. Ce qui compte, c’est d’être là, pleinement, de ressentir la fluidité d’un mouvement, même si parfois il est hésitant ou maladroit.

Je ne cherche par à être parfaite en dansant. Ça n’est pas mon objectif. Ce que je recherche, c’est cette connexion simple et brute, ce plaisir pur de bouger, de rire, de me tromper parfois, et de continuer malgré tout. La salsa n’est pas une danse de contrôle, c’est une danse de liberté, d’instinct, où l’on peut se permettre de lâcher prise. Et c’est pour ça qu’elle me touche autant. C’est une célébration du moment présent, avec ses imperfections, ses ratés, mais aussi ses éclats de magie.

Parfois, il m’arrive de danser avec des techniciens parfaits, des danseurs qui maîtrisent chaque figure, chaque pas, ayant répété pendant des heures. Moi, évidemment, je me trompe, je perds le fil, et je ne comprends pas toujours ce qu’ils essaient de me faire faire. Mais au lieu de m’en agacer, j’éclate de rire. En prenant du recul, j’apprécie d’autant plus ces moments d’imperfection, parce qu’ils donnent matière à sourire, à condition de lâcher prise, bien sûr. C’est un rappel précieux : pourquoi se mettre la pression pour que tout soit parfait ? Même dans la danse, ce qui compte, ce n’est pas l’image, mais l’instant.

Ce soir-là, j’étais habillée comme je l’aurais été pour une journée tranquille : un short, un débardeur, une chemise longue, et mes sandales, loin d’être élégantes, mais incroyablement pratiques et confortables. Probablement que mes vêtements avaient des tâches aussi, et mes cheveux faisaient ce qu’ils voulaient. À un moment, je me suis amusée en me voyant autant en décalage avec les expats du coin, habillés comme j’aurais pu l’être en allant danser à Paris. Et pourtant, c’était moi, dans toute ma simplicité. Et c’est dans cette simplicité et cette imperfection que j’ai trouvé le plus de joie.

C’est aussi ici, à Phnom Penh, que j’ai retrouvé un ami rencontré quelques semaines plus tôt à Bangkok : Yasha. Une personne peu ordinaire, hors des cases, avec une manière d’être qui ne passe pas inaperçue. Il parle fort, s’impose sans jamais sembler le faire exprès. Yasha fait partie de ces gens qu’on ne peut tout simplement pas oublier.

Il a cet air de bad boy, grand et robuste, qui pourrait impressionner si ce n’était pour son sourire en coin et son humour désarmant. Il est un mélange improbable : mi-Pakistanais, mi-Allemand. Deux cultures à l’opposé l’une de l’autre, littéralement, et pourtant parfaitement réconciliées en lui. C’est ce contraste qui a fait de lui ce qu’il est : un être à part, aussi sûr de lui que désarmant, bien dans ses baskets.

Avec Yasha, rien n’est jamais tiède. Il a cette capacité rare de poser des mots qui bousculent, qui font réfléchir. Sans s’en rendre compte, il m’a mis quelques claques de prise de conscience. Des phrases qui résonnent encore, qui vous forcent à vous regarder autrement, avec un mélange de sincérité brute et d’humour bien senti. Yasha, c’est un tourbillon. Une rencontre comme on n’en fait pas tous les jours.

C’est reparti.

À un moment donné, je me suis quand même décidée à regarder comment je pouvais partir à la rencontre de ce pays. J’ai pris une carte, fait quelques recherches, discuté avec des gens, et même si mon désir d’aller immédiatement sur une île était fort, il semblait plus logique, d’après mon itinéraire et les conseils entendus, de me diriger d’abord vers Kampot. Une petite ville côtière au sud du Cambodge, à quelques kilomètres du Vietnam.

J’ai atterri dans une guesthouse absolument fabuleuse : La Rétro Kampot Guesthouse. Des petits bungalows disséminés dans un jardin charmant, au bord de ce qu’on appelle ici la cathédrale verte : une rivière entourée de mangroves luxuriantes, un vrai tableau vivant. Mais ce qui m’a vraiment subjuguée, c’était l’attention et la gentillesse des hôtes. Toujours à l’écoute, prévenants, nous accueillant avec un verre d’eau fraîche et des fruits à volonté dès qu’on arrivait dans l’espace commun. La cuisine, quant à elle, était à tomber par terre. C’est ici que j’ai goûté un plat local, l’Amok, un curry parfumé enveloppé dans une feuille de bananier. Les portions étaient si généreuses que je n’ai pas pu tout finir, et devinez quoi ? Ils m’ont proposé de tout conserver pour le lendemain, et d’y ajouter du riz frais. J’étais bouche bée. J’ai rarement vu un tel souci du détail.

Pour découvrir la région, j’ai loué un scooter, et pendant deux jours, j’ai sillonné les routes de campagne et les bords de l’eau avec mes deux acolytes de Kampot : Nathalie, rencontrée dans un tuk-tuk à Phnom Penh, et Michel, un autre voyageur que j’ai croisé à la guesthouse. Ces deux jours ont été remplis de rires, de discussions, et de moments mémorables.

L’un de ces moments, c’était la visite d’une petite plantation familiale de poivre – le fameux poivre de Kampot ! – où je me suis retrouvée catapultée dans le rôle inattendu de traductrice officielle. Le guide francophone habituel était malade ce jour-là, et mes compagnons de route ne comprenaient que vaguement les explications en anglais. Tout allait bien jusqu’à ce qu’un mini-van arrive, déversant un groupe entier de Français qui, eux, ne parlaient pas un mot d’anglais. J’ai donc pris mon rôle très à cœur, traduisant chaque détail aussi consciencieusement que je puisse l’être.

Et puis, il y a eu la grotte. Une simple grotte que j’avais repérée sur une carte, sans m’imaginer ce que nous allions y vivre. En arrivant, un guide local s’est proposé de nous accompagner. On s’est regardés, hésitants, et finalement, on l’a suivi. Et qu’est-ce qu’on a bien fait ! Après une entrée assez classique, il nous a soudain emmenés vers un minuscule passage, si étroit que nous avons dû ramper pour y descendre. Je me souviens m’être demandé : Mais où est-ce qu’il nous emmène ?

Et là, surprise ! Ce n’était pas une simple visite de grotte. Non, c’était une véritable exploration en mode spéléologie. Nous avons escaladé des parois rocheuses, rampé sur le ventre, glissé sur des pentes de pierre et sauté dans des crevasses, tout en nous émerveillant devant la beauté brute de cette roche sculptée par le temps. Sans oublier, bien sûr, les habitants locaux : des chauves-souris par centaines, qui volaient au-dessus de nos têtes dans un ballet chaotique.

Le plus hilarant, c’était notre guide, qui avait décidé qu’on formait une famille. Michel était « Papa », Nathalie était « Mama », et moi, apparemment, leur fille. Tout au long de l’exploration, il répétait en boucle : « Papa ok ? Mama strong ! » C’était à mourir de rire ! Mais le moment le plus mémorable a été la sortie de la grotte. C’était une expérience en soi, presque une épreuve d’agilité. Pour sortir, il fallait suivre une technique bien particulière, qu’on pourrait presque appeler… un accouchement inversé. D’abord, il fallait glisser la tête, puis se retourner pour passer les épaules, ensuite s’asseoir, et enfin se hisser dehors. Tout cela, bien sûr, sous les encouragements de notre guide : « Papa, push ! Mama, go strong ! » Quand je suis finalement sortie, je riais tellement que j’en avais mal au ventre.

Et comment ne pas vous parler du fameux marché au crabe de Kep ! Réputé pour ses crabes frais cuisinés avec le poivre vert de Kampot, encore tout juste cueilli. Un marché local typique, où les conditions d’hygiène sont… disons, discutables. Mais si vous vous en tenez aux grands bacs remplis de crabes bleus ou d’énormes gambas encore vivantes, il ne devrait pas y avoir de problème, en théorie.

Nous y sommes allés deux jours de suite. Le premier jour, nous avons joué la carte de la prudence, dégustant des crabes et des gambas tout juste cuits devant nous. Un pur délice, je vous assure, et pour un prix dérisoire. Mais le second jour, la tentation a pris le dessus : notre regard s’est tourné vers les poissons déjà cuits, alignés sur des brochettes et exposés à l’air libre. Ils donnaient tellement envie ! Bien sûr, la veille, nous nous étions demandé ce qu’ils faisaient des invendus, surtout qu’aucun frigo n’était visible dans les environs. Mais l’odeur du barbecue et notre estomac ont décidé pour nous. Résultat ? Nous sommes repartis triomphants avec deux magnifiques poissons tout juste réchauffés sur le grill.

Et c’était un délice. En apparence, du moins.

Quelques heures plus tard, couchée dans mon lit, la réalité m’a rattrapée avec une violence que je n’avais encore jamais connue. Une intoxication alimentaire. Une vraie. Celle qui ne laisse rien derrière elle, ni nourriture, ni eau. Mon corps s’est vidé littéralement de tout, et je pèse mes mots. Ce fut une expérience… inoubliable, pour les mauvaises raisons.

Comme si cela ne suffisait pas, le lendemain, voilà que je me réveille avec une cystite. Le genre de douleur qui transforme chaque minute en une petite épreuve. Pendant trois jours, j’ai essayé de tenir bon avec mes remèdes de grand-mère. Mais rien n’y faisait. Épuisée et désespérée, j’ai fini par aller voir un docteur qui m’a prescrit des antibiotiques. C’était ça, ou continuer à souffrir. À ce stade, jouer à l’apprentie sorcière n’était plus une option.

Ce séjour à Kampot, qui devait durer trois jours, s’est finalement étiré sur une bonne semaine. Et pour couronner le tout, mon médecin m’a lâché une dernière bombe : « Il vaudrait mieux éviter de vous baigner dans l’eau de la mer pendant une dizaine de jours. » Dix jours ! Moi qui rêvais de cette petite île depuis des semaines, je voyais ce paradis s’éloigner de moi, comme un mirage.

Ah, la vie et ses imprévus ! Je ne vais pas mentir : à un autre moment de ma vie, cela aurait pu me désarmer complètement. Mais j’ai appris, au fil du temps, à lâcher prise sur ce genre de situations. Et franchement, c’est ce qui m’a sauvée. Parce que si je n’avais pas accepté cet imprévu – ces plans qui partent en fumée, ces moments où tout semble aller de travers – j’aurais passé cette semaine à broyer du noir, au lieu de simplement me dire : « Ok, c’est comme ça. On fait avec. »

Je tiens à dire qu’au milieu de cette période difficile, dans un pays si loin et encore inconnu pour moi, j’ai reçu une aide précieuse, et j’en suis incroyablement reconnaissante. Être malade à l’étranger, loin de ses repères, peut être une expérience terrifiante. Mais cette épreuve m’a montré, une fois de plus, à quel point la bienveillance humaine peut surgir là où on l’attend le moins.

Yasha, qui était resté à Phnom Penh, a décidé de venir jusque Kampot pour m’aider. Pas d’hésitation, pas de demi-mesure. Il a débarqué dès le lendemain, et il s’est immédiatement mis dans la peau d’un garde-malade improvisé. L’homme qui parlait fort et s’imposait sans effort s’est transformé en un véritable modèle de douceur et de patience. Il veillait à ce que je m’hydrate, insistait pour que je mange un peu, même lorsque je n’avais aucune envie de quoi que ce soit. Je n’aurais jamais pensé qu’une personne que je connaissais à peine puisse faire preuve d’autant de prévenance.

Moi qui, habituellement, ne parle pas quand ça ne va pas. Moi qui me refuse à demander de l’aide, surtout dans ce genre de situation, je me suis retrouvée face à un dilemme intérieur. Accepter ou non l’aide de Yasha. Ce genre de proposition, j’aurais normalement balayé d’un « Non, merci, ça va aller », par fierté, par peur d’être un poids. Mais cette fois, quelque chose en moi a changé. Peut-être étais-je trop fatiguée pour résister. Ou peut-être que, j’ai compris qu’accepter l’aide de quelqu’un, ce n’est pas un signe de faiblesse. Alors, j’ai mis mon ego de côté et, avec une résilience nouvelle, j’ai accepté.

Et pourtant, une petite voix dans ma tête murmurait encore : « Mais qui suis-je pour qu’une personne que je connais à peine bouscule ses plans pour venir m’aider ? » Je crois que c’est dans ces moments-là qu’on apprend l’humilité. Ce n’est pas toujours facile de recevoir, surtout quand on est habitué à vouloir tout gérer seul. Mais cette expérience m’a appris que, parfois, accepter, c’est aussi un acte d’ouverture, une manière d’honorer le geste de l’autre.

C’est dans ces instants, où l’on se sent fragile et vulnérable, que l’on redécouvre la beauté de l’humanité. Tout n’est pas dirigé par l’argent, le pouvoir ou l’égoïsme, comme on pourrait parfois le croire. Il existe encore des gens prêts à bousculer leurs plans, à sortir de leur confort, simplement pour tendre la main à quelqu’un qui en a besoin. Ces gestes, aussi simples soient-ils, m’ont profondément touchée.

En route pour Siam Reap

Après la nouvelle du médecin, je décide de me diriger vers Siem Reap, la porte d’entrée pour visiter les célèbres Temples d’Angkor. C’est un lieu incontournable pour moi ici, au Cambodge. Je réserve un « hôtel bus » de nuit — et je dis bien hôtel, car ce sont de véritables couchettes. Une option assez agréable quand on a 9 heures de route à faire.

La ville de Siem Reap, en revanche, ne m’a pas plu. Bruyante, envahie par un trafic incessant, et des quartiers ultra-touristiques où restaurants, rabatteurs et boutiques à souvenirs se disputent chaque recoin. Les habitants eux-mêmes m’ont paru peu aimables, comme si la pression du tourisme avait effacé la chaleur humaine. Mais malgré ma déception pour la ville, je décide de prendre les choses comme elles viennent. Je me repose dans mon hôtel et concentre toute mon énergie sur ce qui m’a attirée ici : Angkor.

Angkor – 19 janvier

Je prends un pass de 7 jours. Je veux prendre mon temps. Ce site me fascine depuis des années, de loin, à travers des photos et des récits. Je ne veux pas précipiter ma visite. C’est un lieu que je veux vivre, un lieu où je veux m’imprégner de chaque recoin, de chaque pierre envahie par les racines, de chaque rayon de soleil filtrant à travers la végétation.

Je ne vais pas vous faire un cours d’histoire sur ces temples. Ce n’est pas ce qui m’a poussée à venir ici. Tout a déjà été écrit à ce sujet, en long, en large et en travers. Les faits historiques, les symboles religieux, le contexte spirituel du site… tout cela existe déjà, et je n’ai rien à y ajouter. Ce n’est pas ma démarche.

Ce qui m’a attirée ici, c’est autre chose. C’est le côté pittoresque, presque magique de ce lieu. Cette fusion entre les vieilles pierres sculptées et la végétation sauvage qui reprend ses droits, doucement, inlassablement. Je l’avais vu en photo, et aujourd’hui, j’y suis. Je suis surexcitée !

Quand j’étais petite, un des métiers que je rêvais de faire, c’était archéologue. J’étais fascinée par Indiana Jones, par ces histoires d’aventure, de découvertes, de mystères enfouis. Je voulais fouiller des lieux abandonnés, déchiffrer des énigmes gravées dans la pierre, ressentir cette liberté absolue qu’on associe à l’exploration. Je m’inventais des histoires dans des mondes perdus. Aujourd’hui, en marchant dans ces temples, c’est comme si une partie de cet imaginaire reprenait vie.

Je vais être honnête : je n’ai jamais été une grande fan d’histoire. À l’école, c’était un calvaire. Je me souviens d’avoir appris des pages entières de dates et de faits par cœur la veille des contrôles, pour tout oublier dès le lendemain. Avec le recul, je comprends mieux pourquoi : l’histoire, telle qu’elle est enseignée, ne m’a jamais semblé complète.

En mon for intérieur, je crois que l’histoire n’est jamais qu’une interprétation. Ce que nous lisons dans nos livres, ce sont des mots écrits par une partie de la civilisation, souvent depuis une seule perspective. Combien de vérités alternatives, de points de vue différents, se perdent en chemin ? Et que dire des traductions, des modifications au fil des décennies ? Tout cela m’amène à garder un esprit critique. Connaitre l’histoire, oui, mais ne jamais l’accepter les yeux fermés. C’est essentiel, selon moi, de garder l’esprit ouvert, de réfléchir par soi-même, de questionner. Non pas pour tomber dans une paranoïa sans fin, mais pour explorer les multiples facettes de la vérité.

Le premier jour, j’ai visité les temples un peu comme tout le monde. Bien sûr, beaucoup de blogs conseillent de faire les circuits dans le sens inverse pour éviter la foule. Mais soyons réalistes : ce lieu accueille des millions de visiteurs chaque année. Peu importe la stratégie, il y a un moment où l’on se retrouve plongé dans cette horde de touristes. C’est comme ça, il faut s’y faire.

J’ai choisi de faire le tour en scooter, préférant ma liberté à un guide ou une visite en tuk-tuk. On peut aussi le faire en vélo, mais soyons honnêtes : la dernière fois que j’ai enfourché un vélo, c’était il y a 13 ans, lors d’un voyage à Lisbonne. Autant dire que je ne suis pas prête à affronter des dizaines et des dizaines de kilomètres dans cette chaleur accablante. Le scooter, c’était donc l’option parfaite pour moi, même si j’avais entendu, ici et là, que l’utilisation de scooters ou de voitures était une hérésie, à cause de la pollution et de son impact sur les temples.

Cela dit, je ne suis pas convaincue que le tuk-tuk soit une meilleure alternative. La majorité de ces engins transportent deux personnes au maximum, et, soyons clairs, un tuk-tuk pollue probablement autant qu’un scooter. Alors, pourquoi s’infliger un débat stérile ? Je ne vais pas m’aventurer sur la question des moyens de transport électriques, que je pense être l’une des plus grosses arnaques de notre siècle.

Parfois, il faut accepter les choses telles qu’elles sont. On ne peut pas tout changer, ni tout diriger. Ce n’est pas une question de bonne volonté individuelle, mais un problème bien plus large, qui nécessiterait un changement radical de mentalités, un bouleversement à l’échelle collective. Nous sommes en Asie, après tout. Peu importe le pays, la pollution est omniprésente, et la sensibilisation à la préservation de la nature reste encore très limitée.

Cela dit, Angkor est une exception. Ici, c’est propre, vraiment propre. Mais il faut bien admettre qu’ils y mettent les moyens. Le nombre d’employés qui travaillent sur le site pour maintenir cet endroit est tout simplement incroyable. Angkor, c’est une bulle préservée, une image idéalisée de ce que l’Asie pourrait être, si les efforts de préservation étaient généralisés.

Ce qui m’a particulièrement marqué pendant la visite des sites

Me balader à travers ces labyrinthes géants, complètement désorganisés, c’était comme entrer dans un autre monde. Je me croyais dans un film, à chaque détour, chaque recoin. Ces temples ne sont pas simplement des lieux historiques, ce sont des terrains de jeu pour l’imaginaire. Là où la foule se pressait pour suivre le sens officiel de la visite, moi, je prenais un plaisir particulier à détourner les panneaux, à me glisser dans des passages où personne ne semblait vouloir aller. Et c’est comme ça que, parfois, je me retrouvais complètement seule, entourée du magnifique chant des oiseaux environnants.

J’étais là, au cœur de cette nature incroyable, entourée de pierres sculptées depuis des siècles. C’était fascinant de voir cette architecture colossale, si précise et sophistiquée, se fondre dans le chaos sauvage de la végétation. Des arbres immenses, comme des géants endormis, avaient littéralement pris possession des lieux. Leurs racines, énormes et noueuses, s’enroulaient autour des murs, s’enfonçaient dans les fissures, et semblaient dire : « Nous étions là avant, et nous serons là après. » La pierre et la nature ne s’opposaient pas : elles s’étaient mêlées, comme si elles formaient une seule et même entité, une harmonie parfaite entre ce qui est créé et ce qui est sauvage.

Je me souviens d’un moment précis. J’avais contourné un temple, pris un petit passage étroit qui ne faisait pas partie du circuit habituel, et je suis tombée sur une petite clairière, envahie de racines et de lianes. Là, à seulement quelques dizaines de mètres, j’entendais la rumeur de la foule, le cliquetis des appareils photo, les voix des guides. Mais ici, j’étais seule. Le contraste était saisissant. C’était comme si le temple lui-même m’offrait une parenthèse, une invitation à me poser, à respirer, à être simplement là.

Au fil des jours, j’ai changé ma manière de visiter. Après être entrée dans quelques temples, exploré leurs couloirs sombres et leurs salles aux mille détails, j’ai réalisé que ce qui m’attirait le plus, ce n’était pas forcément l’intérieur. C’était l’extérieur. Ces petits passages étroits, ces pierres éparses où il fallait sauter d’une marche à l’autre. Un véritable terrain de jeu géant. En me promenant ainsi, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Roméo. Il aurait adoré cet endroit. Je l’imaginais me dire : « Viens maman, on va par là ! Regarde, il n’y a personne qui y va ! » J’ai souri plusieurs fois en imaginant sa petite voix et son enthousiasme face à ces décors presque irréels.

Et il aurait eu raison. Ce sont ces endroits oubliés, en marge des grands chemins, qui m’ont le plus marquée. Là où les racines géantes sculptaient des arches naturelles, où la lumière du soleil jouait à travers les feuillages pour venir caresser la pierre. C’était une magie silencieuse, un équilibre parfait entre l’imperfection naturelle de la jungle et la précision millimétrée des bâtisseurs d’Angkor.

Cette imperfection, parlons-en.

Lors de ma visite d’un des temples, j’ai croisé un couple. L’homme était en train de prendre sa femme en photo. Je me suis arrêtée derrière eux pour leur laisser de l’espace, les observant sans le vouloir. L’homme ajustait chaque détail avec une précision maniaque : « Approche-toi un peu plus de moi. Non, va plus à droite. Recule légèrement, encore quelques centimètres. » À chaque nouvelle instruction, sa femme obéissait, patiente. Puis, après plusieurs essais, il s’est exclamé : « Voilà, maintenant c’est parfait ! »

Il avait sa photo parfaite. Une image soigneusement composée, millimétrée, dans un lieu qui, lui, est tout sauf parfait. Un endroit profondément chaotique, désordonné, où tout semble à la limite de s’effondrer. C’est à mes yeux un vrai paradoxe : chercher à capturer une perfection artificielle dans un lieu qui respire l’imperfection naturelle.

Angkor est peut-être l’un des endroits les plus imparfaits du monde. Et c’est précisément ce qui en fait sa beauté. Ici, rien n’est droit. Les murs s’inclinent, parfois au point de donner l’impression qu’ils vont s’écrouler à tout instant. Les pierres se sont déplacées, fissurées, éclatées, comme si elles avaient décidé de vivre leur propre histoire, indépendamment de l’homme. Pendant des siècles, ce site a été abandonné, livré à la nature. Et la nature, avec sa patience infinie, a repris sa place. Elle n’a rien ordonné, rien aligné. Elle a simplement laissé les choses être.

Et c’est ça, le plus fascinant : on voit bien que la main de l’homme n’a pas tenté de réparer, de redresser, ou de ramener à un état « parfait ». Elle s’est retirée, et elle a laissé la nature redessiner les lieux à sa manière. Ici, l’ordre a cédé la place au désordre, et pourtant, il y a une harmonie indéniable. Les racines des arbres étreignent les murs comme pour les protéger, ou peut-être les achever. Tout semble à la fois fragile et indestructible. Et c’est justement cette imperfection, cet équilibre précaire entre ce qui est construit et ce qui est sauvage, qui rend cet endroit si unique et si beau.

En sortant de ce même temple, un peu plus tard, je suis tombée sur un autre couple, debout face à un plan détaillé du temple. Je dois vous avouer que je n’avais jamais prêté attention à ces cartes jusqu’à ce moment-là. Mais j’ai été intriguée. La femme pointait l’entrée avec son doigt : « Regarde, l’entrée est ici, et on doit sortir par là-bas. Voilà la ligne qu’il faut suivre pour visiter. » Elle et son mari tournaient autour du plan, discutant des directions à prendre, comme s’ils craignaient de s’écarter du chemin officiel.

Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Où est le plaisir quand tout doit suivre une route, quand tout doit être mis dans une case ? La beauté d’Angkor, pour moi, ce n’est pas dans la carte, ni dans un itinéraire prédéfini. C’est dans les détours, les pas hasardeux, ces moments où l’on se perd volontairement. Je venais tout juste de terminer ma propre visite, où j’avais été littéralement comme une enfant, bondissant d’une pierre à une autre, un sourire béat accroché aux lèvres.

Ce temple était pour moi un terrain de jeu, un endroit où chaque détour était une surprise. Où chaque racine noueuse me murmurait une histoire ancienne. Où les rayons du soleil, filtrant à travers les arbres, illuminaient des coins oubliés. Je n’avais pas besoin d’un plan, parce que chaque instant, chaque recoin, était une découverte en soi.

En parlant d’histoire…

Je dois avouer que, bien souvent, je laissais mon imagination prendre le dessus sur la réalité historique. Ces sites m’inspiraient des histoires bien à moi, des récits imaginaires qui naissaient au gré de mes observations. Par exemple, ces immenses marches qu’il faut escalader pour monter. À chaque fois, je me disais : Mais pourquoi ? Même il y a mille ans, les Asiatiques n’étaient pas plus grands qu’aujourd’hui. Alors pourquoi ces marches si hautes ? À quoi servaient-elles ? Certes, avec le temps, certaines pierres ont peut-être bougé, les sols ont pu s’affaisser, mais même en prenant cela en compte, il est évident que ces marches n’étaient pas pratiques pour les jambes humaines.

Et puis, la taille des pierres ! Il faut être debout à côté pour se rendre compte de leur gigantisme. Ce ne sont pas simplement des blocs, ce sont des colosses de pierre, taillés avec une précision qui défie l’imagination. Comment ont-ils pu être déplacés ? Et surtout, avec quels outils ? Même aujourd’hui, avec toutes nos technologies modernes, j’ai l’impression qu’il serait presque impossible de reproduire ces constructions.

Alors, à force d’observer, je me suis laissé emporter par des questions plus folles. Et si tout ce que nous pensions savoir était incomplet ? Et si, dans des temps anciens, il avait existé des civilisations dont on ignore tout ? Peut-être même des civilisations qu’on nous a cachées. Des civilisations de géants, peut-être. J’aime imaginer ces lieux comme des vestiges d’un autre monde, d’un autre temps, où la vie était différente de ce que l’on peut concevoir aujourd’hui.

Je me suis amusée à inventer des histoires sur la construction du site. Dans mon esprit, ces géants mystérieux taillaient et déplaçaient les pierres avec une aisance surnaturelle, bâtissant ces temples comme des sanctuaires dédiés à des forces ou des dieux oubliés. Ils montaient ces immenses marches en une enjambée, leurs silhouettes majestueuses se découpant dans la lumière du soleil couchant.

Mais ce n’est pas tout. Mon imagination ne s’arrêtait pas à la construction. Je me demandais aussi à quoi pouvait ressembler la vie à l’intérieur de ces temples, lorsque les lieux étaient encore habités. J’imaginais des rituels, des processions silencieuses sous les arches de pierre, des chants résonnant dans les couloirs, des repas partagés au pied des arbres centenaires qui, à l’époque, n’avaient pas encore commencé à envahir les murs. Je voyais des enfants courir dans les galeries, jouer à cache-cache entre les piliers, leurs rires se mêlant au murmure de la brise.

Et puis, il y a la grande question : pourquoi ce site a-t-il été abandonné ? Je me suis inventé des récits pour tenter de répondre à cette énigme. Une guerre ? Une épidémie ? Une migration ? Ou peut-être une catastrophe naturelle ? Mais parfois, mon esprit allait encore plus loin, et je me disais : Et si ce n’était pas un abandon, mais une disparition ? Une civilisation qui, un jour, aurait simplement cessé d’exister, effacée par quelque chose qui nous échappe totalement.

J’aime ces moments où je laisse mon imagination vagabonder. Ces lieux, si vastes et si mystérieux, ne demandent qu’à devenir les décors d’histoires qu’on ne connaîtra jamais. Et c’est précisément cette imperfection, ce manque de réponses, qui les rend si fascinants. Les temples d’Angkor ne se livrent pas entièrement. Ils gardent leurs secrets, et c’est peut-être mieux ainsi. Parce que l’histoire officielle, si complète et bien documentée soit-elle, n’a jamais le pouvoir de faire rêver autant qu’un esprit qui s’évade…

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