Deborah Lesne
Soins Holistiques

Massage Ayurvédique

Deborah Lesne
Soins Holistiques

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La porte

Roméo partira en France à la mi-décembre. Une décision est prise, mais les sentiments qu’elle déclenche restent étouffés. C’est comme si une tristesse sourde, un besoin de lâcher prise, cherchait à s’échapper, enveloppée dans un voile d’émotions refoulées. Ce voile, épais et pesant, semble frapper doucement à la porte de mon cœur, mais reste enfermé, retenu par une force que je ne m’explique pas.

Dans cet espace intérieur, je me vois toute petite, nichée près de mon cœur, entourée d’un poids invisible fait de souvenirs, de blessures, et d’une image de moi-même. Ce fardeau, c’est l’émotion elle-même, cette insécurité qui s’agite en silence, cherchant une issue. Mais une autre part de moi, plus grande et plus adulte, peut-être même plus rigide — s’acharne à repousser cette porte. Cette part cherche à préserver une illusion : l’illusion du contrôle. L’illusion que ce « moi », ce noyau que je défends, est encore intact.

Et si je lâchais?  Si je cessais de lutter? Que resterait-il alors?

Ce « moi » que je protège si farouchement, c’est l’ego. Une construction fragile, patiemment bâtie au fil des années, tissée de souvenirs, de blessures mal refermées, de victoires incertaines, et de luttes constantes. Il est ce miroir trompeur dans lequel je crois me reconnaître, mais ce reflet n’est qu’une illusion — un masque façonné à la fois par ce que je veux montrer au monde et par ce que je m’efforce de croire sur moi-même.

Ce masque, cette armure que je porte, me donne l’illusion d’un contrôle, d’une stabilité. Pourtant, il me retient, m’alourdit à chaque pas. Il se nourrit de validation, de peur, de ce besoin constant de préserver une identité que je crois essentielle. Et c’est lui, sans doute, qui s’oppose avec tant de force à l’idée d’ouvrir cette porte.

Cette réflexion me ramène à un geste récent : couper mes cheveux. Un acte simple, mais qui portait en lui une symbolique dont la portée m’apparaît peu à peu. En me délestant de cette part visible, j’ai amorcé un mouvement : celui d’abandonner cette image — ce masque que je croyais essentiel et qui n’était qu’un poids de plus à abandonner.

Mais qu’y a-t-il derrière?

Cette question me hante, bouleversant mes nuits, chamboulant mon corps. Cette porte existe pour me rappeler cette vérité ; ce que je montre n’est pas ce que je suis. Laisser tomber cette illusion, renoncer à cette image, serait le véritable moyen de franchir ce passage. Et si je l’acceptais? Si je cessais de me reconnaître dans ce reflet, alors peut-être pourrais-je enfin me rencontrer : pas l’image de moi, mais ce que je suis réellement.

Roméo m’a souvent servi de miroir, et ce voyage en était un prolongement : partir avec lui, c’était bâtir une aventure qui nous reflèterait tous les deux. Mais il part, et ce n’est pas seulement son absence qui me blesse : c’est ce que son départ signifie. Une partie de cette image que j’ai créée pour moi-même — celle de la mère qui montre à son enfant les vastes horizons, qui ouvre des portes vers des mondes nouveaux — s’effondre. Cette idée que j’avais de moi-même vacille, comme un tableau dont les couleurs s’estompent lentement.

A cet instant, l’image d’Alice et du lapin blanc me revient en mémoire. Je me vois, minuscule moi aussi, devant ma propre porte, qui elle aussi semble trop étroite, trop fragile pour un voyage aussi grand. Derrière elle, un monde inconnu m’attend, comme une promesse qu’on murmure. Ce passage est à la fois une invitation et une épreuve. Pour l’atteindre, qu’est-ce que je dois laisser derrière? Qu’est-ce que je crains encore de perdre?

Roméo s’éloigne, et je reste là, face à ce passage. Sa route et la mienne se séparent ici parce qu’il n’a jamais eu besoin de cette armure. Ce voyage, que je croyais aussi important pour lui, était en fait essentiel pour moi.

La porte est toujours là. Un jour je la franchirai, pas pour fuir ou m’échapper, mais pour revenir vers ce qui est juste, vers ce que je suis, au-delà des illusions, au-delà de ce « moi » que je croyais si précieux.

Phuket, 11 novembre

Demain je franchirai le cap des 41 ans. Dans moins de 3 semaines, maman sera là. J’ai hâte qu’elle nous rejoigne. Ce n’est pas la première fois qu’elle me rend visite au bout du monde, une habitude qui me touche toujours. Cette fois, elle rêvait d’aller faire du bénévolat en Inde. Mais bon, maman, c’est râpé pour cette fois : ce pays est bien trop exigeant, et je préfère te savoir ici, au calme.

Pour la petite histoire, elle m’avait rejoint avec mon papa lors de mon voyage en van en Australie, il y a bien des années. Nous avions loué un van pour nous quatre, serpentant les routes de Sydney à Melbourne. Elle en a gardé un souvenir inoubliable, un mélange d’aventures, de paysages grandioses et, surtout, du sentiment de liberté qu’un tel mode de vie procure.

Moins de 20 ans plus tard, ce goût de l’évasion ne l’a pas quittée. Elle s’est construit un van aménagé tout mignon, parfaitement à son image, avec lequel elle s’aventure dans le sud de la France et en Italie, dès que l’envie lui prend.

Nos journées à Phuket sont simples, presque immuables. Et c’est exactement ce que je voulais pour nous. J’ai trouvé un petit bungalow tout équipé, avec une piscine où j’ai repris des entraînements quotidiens.
Roméo, de son côté, prend plaisir à s’essayer à l’apnée. Il m’étonnera toujours ce gamin !

Nous cuisinons la plupart de nos repas et, chaque jour, la plage est devenu une étape incontournable. Roméo s’est même trouvé un petit copain ; ils s’attendent avec impatience chaque après-midi, comme si leur rendez-vous était devenu un rituel. Cette simplicité, ces journées répétées, m’apportent un calme certain.

À la fin de notre séjour en Inde, j’avais décidé de lever le pied sur l’école. Cela devenait une source de tension pour nous deux, une contrainte qui finissait par provoquer des conflits inutiles. J’ai donc fait un choix : plusieurs jours sont passés sans que je ne mentionne une seule fois l’école ou les leçons. Et puis, à ma grande surprise, c’est Roméo lui-même qui a réclamé ses séances quotidiennes. Peu importe ce qui l’a motivé, il en avait besoin, et j’ai consenti avec joie.

Depuis, tout se passe dans le calme et la sérénité… la plupart du temps. En relâchant un peu ce besoin de tout contrôler, j’ai découvert une sérénité nouvelle dans notre relation.

Mais ce cocon paisible que j’ai créé pour nous contraste avec une réalité plus large : celle d’une Thaïlande qui n’est plus tout à fait la même.

La Thaïlande, celle d’aujourd’hui, surtout dans les zones touristiques, n’est plus tout à fait celle qu’on imagine. Ces dernières années, l’inflation s’est installée : à Bangkok, les transports autrefois presque symboliques, sont devenus coûteux, et les visites incontournables affichent souvent des tarifs démesurés. Trouver un logement décent, avec un minimum de confort pour une maman et son enfant, est devenu un défi budgétaire.

À Phuket, la tendance est encore plus marquée : les prix de l’immobilier ont presque triplé, et même la nourriture, autrefois si abordable, a suivi cette envolée. Ce qui était autrefois un paradis accessible pour les voyageurs au long cours est aujourd’hui une destination qui demande davantage de moyens, même pour un portefeuille européen.

Je dois l’avouer : mon budget a flambé ici. Cette réalité économique change forcément la façon dont on vit et perçoit le pays. Mais pour retrouver l’essence de cette Thaïlande simple et chaleureuse, il faut désormais s’éloigner des grands centres touristiques.

Alors que je terminais ce chapitre, Roméo s’est approché, a posé ses mains sur l’ordinateur, et a écrit d’un geste sûr : « Roméo surgit et dit : j’aime bien la Thaïlande. » J’ai compris dans ses mots simples une réponse à mes doutes, comme pour me dire : « Tu vois, maman ? Ce voyage est parfait comme il est. Ne doute pas de toi. » En un instant, il avait dissipé mes doutes. Ses mots sont restés, gravés, comme un apaisement que je ne savais pas attendre.

5 réflexions sur “La porte”

  1. La photo où Roméo a son bras autour de ton cou est magnifique et très touchante ❤️

  2. Toujours aussi émouvant de te lire ma chérie
    De magnifiques photos
    Hâte d’y être , près de vous ❤️❤️
    Je vous aime 🥰

  3. C’est un plaisir de te suivre au travers de ton carnet de voyage … quelle belle écriture et que de magnifiques photos !
    🤗🤗😘😘

  4. bonjour Deborah,
    Je suis très touché par les écrits de ce carnet de voyage, et je vous remercie de l’avoir partager. Il pose toute la grande question de la distance, réelle, physique ou affective voire symbolique qui sépare le parent de l’enfant, ici entre la mère et son enfant. c’est un sujet qui m’a longtemps préoccupé durant mon expérience professionnelle puis, encore maintenant, en tant que parent, père…
    qu’ai-je su ou pu donner, transmettre : de l’amour, de la joie, du bonheur, de la sécurité… et qu’ai-je reçu en echange du bonheur oui je peux le dire. était-ce bien ? si oui, pour qui ? quelle distance variable en permanence faut-il maintenir entre l’enfant et l’adulte. y-a-t-il un âge où l’on peut estimer que l’enfant a reçu suffisamment pour être en capacité d’advenir, pour accéder à la liberté…
    puis un jour, l’enfant sent venir le moment de s’envoler. alors, demeurent sur les murs et partout ailleurs les traces de vie, celles du temps d’avant. une page est tournée, ce processus de séparation qui donne acces à la vie est aussi un processus de deuil. il va falloir faire avec…
    et au fil du temps, nous verrons peut-être si nous avons su ou pu mettre en œuvre pour que notre enfant qui n’en n’est plus un accède au bonheur et, qui sait, peut être qu’à son tour, il deviendra parent à son tour…
    et n’oublions jamais cela : c’est l’enfant qui crée le père ou la mère..
    Bon voyage Deborah.

  5. Bonjour Eric,

    Merci infiniment pour votre message, qui m’a profondément émue.

    Vous mettez en lumière des questions universelles et intemporelles, qui touchent chaque parent au cours de son cheminement : qu’avons-nous transmis à nos enfants ? Comment maintenir cet équilibre fragile entre proximité et distance ? Et surtout, comment vivre cette séparation, inévitable mais ô combien bouleversante, qui marque leur envol ?

    Vous avez raison : ce processus est à la fois un acte de vie et un processus de deuil. Il faut dire au revoir à cette relation d’avant, si fusionnelle, pour ouvrir la porte à une relation nouvelle, peut-être plus libre, mais jamais exempte de ce lien indéfectible.

    J’aime particulièrement votre réflexion sur le fait que « c’est l’enfant qui crée le père ou la mère ». C’est une vérité si simple, et pourtant si puissante. À travers eux, nous grandissons nous aussi, découvrant des facettes de nous-mêmes que nous ne soupçonnions pas. Et dans cette quête de liberté que vous évoquez, je crois que l’enfant et le parent s’élèvent ensemble, chacun trouvant peu à peu son propre chemin.

    Merci pour vos mots

    Déborah

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